Katrien de Blauwer, que l’on présente comme « photographe sans appareil », utilise des images issues de magazines et journaux anciens pour façonner ses récits. Avec son intimité et sa sensibilité, elle va chercher dans les images des autres, chargées de mémoire et transportant ses souvenirs, de quoi les raconter.
De Blauwer se nourrie d’une beauté qu’elle trouve dans la danse contemporaine, la littérature, la mode ou la musique, mais c’est sans doute l’univers cinématographique qu’elle embrasse le plus passionnément. Surtout celui qui a fortement influencé la représentation des femmes dans la presse des années 60, son matériau privilégié. Car les femmes sont ici de première importance. En assemblant des fragments disparates de ces héroïnes en clichés, minutieusement récupérés et silencieusement juxtaposés, elle crée des collages qui évoquent la vie d’icônes familières, celles d’une représentation féminine souvent fantasmée. Elle joue avec nos imaginaires, le sien comme le nôtre. Les matières surannées du papier répondent aux sujets découpés pour former le décor de ses récits ; et dans ces arrêts sur images énigmatiques, tels des champs-contrechamps réunis sur le même plan, le spectateur prend le relais de la narratrice pour dérouler le scénario.
Ses collages sont à la photographie ce que les scripts seraient au cinéma. Et comme lors du montage selon Van der Keuken, elle suit la logique propre au rythme des images, tout en intervenant afin d’être porteur d’un récit. Les traits de couleur dont elle rehausse ses images donnent bien quelques indices supplémentaires à la lecture. Ils donnent la direction, comme des vecteurs d’émotions, vers ce qu’elle se retient de dire, ne montre à personne.
Dans cette nouvelle série, elle précise : « Le rouge, c'est la peur - le jaune, c'est la haine - le bleu, c'est l'amour. ». Et raconte : « On pourrait considérer ce travail comme une chaîne de coïncidences. Tout a commencé avec la couleur jaune, utilisée comme narration pour une série que j'ai montrée à mon éditeur suédois et qui lui a rappelé un film culte des années 60, "I'm curious (yellow)" (Je suis curieux (jaune)).
Le lendemain, je suis tombé sur la version anglaise de poche du scénario, ce qui m'a donné envie de trouver la version numérique du film.
Au début, je n'ai pas vu beaucoup de références entre le film et ma série, puis j'ai commencé à réaliser que la protagoniste, Lena, avait beaucoup en commun avec les filles que l’on retrouve dans mes images, avec les émotions qu'elles traversent et que j'ai essayé de capturer dans la série.
Lorsque j’ai découvert que le film avait une suite "I'm curious (blue)", j'ai aussi créé un chapitre bleu. Puis j'ai senti que l'œuvre avait besoin d'un autre chapitre, ce qui en ferait une trilogie, et surtout parce que cela me donnerait l'occasion de montrer un troisième sentiment, une humeur différente »
— Katrien de Blauwer
Les images de Lena, extraites du film de Vilgot Sjöman, scandent la scénographie de cette exposition. Si dans les collages de Blauwer, on ne croise jamais de regard, celui de Lena occupe la trame de tout l’accrochage de l’exposition, au format affiche de cinéma.
La jeune héroïne est également le sujet principal d’un diaporama, une installation inédite de l’artiste, composée d’arrêts sur image du film et de photographies de pages des fameux carnets de l’artiste, précieux recueils où elle déploie son langage en associant les images aux mots, ici ceux qu’elle a extraits du scénario.
— Charlotte Boudon