Entre l’école allemande et l’école française du paysage, voisin de Thomas Ruff, de Jean Marc Bustamante et de Thibaut Cuisset, Gilbert Fastenaekens, photographe belge, est depuis longtemps un des tenants du «style documentaire», à mi-chemin entre la reproduction modeste du réel et la ré-appropriation artistique qu’elle induit.
Reconnu très tôt pour ses Nuits (1980-1987), paysages urbains nocturnes en rupture avec le photo-reportage omniprésent de l’époque, il participe à la mission photographique de la Datar sur l’aménagement du territoire en France et obtient le prix Kodak de la critique photographique en 1986.
Par la suite, à travers plusieurs commandes sur la notion du territoire, il poursuit une observation assidue de la ville et du paysage, détachée de l’anecdotique et du sentimentalisme facile. Il joint à la notion de paysage, qu’il circonscrit à un petit périmètre de plus en plus étroit, toute la force d'une expérience intimiste, celle-ci prenant toute son ampleur dans la parcelle strictement délimitée d'une forêt en Champagne-Ardenne, qu’il arpente de 1988 à 1996. Noces est une ascèse à la limite de l’obsessionnel, sorte de zoom sur le motif qui transgresse la valeur documentaire par la perte des repères tant géographiques, physiques, que photographiques. Le sujet, traduit par une multitude de nuances de gris, disparaît presque alors au profit d’une abstraction où la cosa mentale de Pline renvoie l’artiste au plus profond de lui-même. Cette série fait l’objet d’un livre qui sera publié pour sa rétrospective à la galerie Le Château d’Eau à Toulouse.
Parallèlement, Gilbert Fastenaekens poursuit de 1990 à 1996 un travail sur Bruxelles, publié sous le titre Site (ARP Editions, 1997) composé de photographies, toujours noir et blanc, traitant du développement du tissu urbain. Il l’expose comme un ensemble composé de grands livres dont les pages se tournent au fil des jours et où chaque image peut se confondre ou se compléter avec la suivante, tel un élément d’une encyclopédie de formes simples constituant une ville. Cette composition silencieuse et radicale que l’artiste présente sur des lutrins, est le début du long travail sur sa ville, Bruxelles, qu’il a choisi comme possibilité archétypale représentative de toutes les villes aux développements urbains chaotiques.
A partir de 1993, Gilbert Fastenaekens délaisse pour un temps le phénomène de l’exposition et mène une activité d'éditeur, ayant bien entendu comme ligne éditoriale le paysage dans la photographie contemporaine -ARP Editions. Ce n’est que récemment qu’il est revenu au principe de l’exposition avec sa dernière série sur Bruxelles qu’il vient de montrer au Centre d’art contemporain des Brasseurs, à Liège, et à la Galerie Ledune, à Bruxelles. C’est cette dernière qui sera exposée à la galerie Les filles du calvaire, tandis que la galerie Le Château d’Eau consacrera ses lieux à une lecture rétrospective de son travail, en écho à l’exposition au FLAC© - Casino Modern Waterschei, à Genk en Belgique.
Paris
Là encore Bruxelles est un travail de longue haleine sur le motif, « fait d’insistances et d’obsessions qui finissent par produire », comme le précise l’artiste. Cette approche abécédaire, prolongation de Site, s’attache à retranscrire les différentes formes architecturales présentes dans la ville : murs rideaux, ensembles de tours, maisons individuelles noyées parmi des immeubles.... Mais on est loin d’une démarche documentaire classique face au paysage urbain car Gilbert Fastenaekens, qui cadre ces éléments de manière radicale, alimente ici une vision architecturale dépassant le documentaire au profit d’une scénographie quasi théâtrale. La précision particulière de ces prises de vue à la chambre permet de s’approcher de très près d’une infinité de détails, tandis que la taille monumentale des œuvres invite à s’y laisser absorber par une lecture approfondie. Cette sensation s’appuie également sur l‘abandon du baryté noir et blanc au profit d’une impression jet d’encre très fine qui renforce la profondeur des couleurs,elle-même accentuée par une matité des encres et du papier qui absorbe le regard, comme si l’artiste avait retrouvé la sensualité de ses noirs dans cette technique contemporaine.
Bien que photographe s’appuyant résolument sur un langage radical voire ascétique, totalement éloigné d’un quelconque effet pictorialiste, on ressent ici que Gilbert Fastenaekens est moins intéressé par les lieux eux-mêmes que par l’expérience visuelle, voire sensuelle, qu’ils procurent. Et, à l’instar du peintre ou du sculpteur, il procède bien ainsi à une transformation du sujet au profit de ce qu’on pourrait nommer émotion ou sensation photographique.
Le spectateur est ainsi amené non seulement à regarder, mais également à vivre ces images, dont certaines atteignent les 2,5 mètres, comme une expérience physique, voire à les appréhender comme des sculptures. Dans un deuxième temps, elles se laissent lire comme des surfaces quasiment abstraites, rythmées par les couleurs, l’aspect tactile des matières, les jeux de lumière et la cadence des éléments architecturaux. Lorsque les dimensions de l’œuvre sont plus modestes, c’est cette deuxième approche qui s’impose. Mais que leur impact balance entre le sculptural ou au contraire l’affranchissement du volume et de la profondeur, ces images témoignent de la capacité du photographe à transformer.
Christine Ollier