Yun - Jardin(s) Secret(s)

22 Mai - 12 Juillet 2003 17 rue des Filles du Calvaire 75003 Paris

Les installations de Yun sont "peuplées de rêves dans lesquels les sensations d’étrangeté et d'ubiquité s’entrecroisent comme dans l'expérience du rêve, et traduisent le monde quotidien par voie subjective"

Olesya Turkina
Conservatrice au Musée National Russe, St Petersbourg

Le “jardin secret” est un recoin abrité, un endroit d'oubli et de torpeur magique, réminiscence du futur et prévision du passé. Ici il n'y a aucune alternance jour et nuit - une lumière "noire", rythmiquement distribuée par des flashes des projections visuelles, illumine uniformément l'espace entier.

 

Il n'y a ici aucun endroit pour l’ordonnancement usuel des choses. Sur les branches de l’amandier en fleurs, au lieu des fruits, il y a des écrans avec des images de l'artiste nue en lévitation au-dessus de l’eau qui passe. Le bruit d’une chute d’eau est mêlé aux rafales de vent. Les projections vidéo fleurissent parmi les fleurs artificielles. Aiyoung Yun appelle métaphoriquement son installation, Jardin Secret, un rêve. "Toute la nuit dans mes rêves je nage comme un poisson, je vole dans les nuages comme un oiseau... Mon âme monte avec le vent, sans savoir ce qu'elle rencontrera... et où trouver la signification de la vie... Le "jardin" représente mes rêves, et les arbres avec les images mon
âme ", dit-elle.

 

Le jardin secret est une métaphore poétique incarnée par Yun dans une installation multimédia. L'espace du "jardin secret" est rempli de "vrais" objets, d'images vidéo transparentes, et de bruits. Ces images, comme par exemple un personnage planant dans les airs, ou un voyageur à pied, ont des significations multiples. "Plusieurs des images que j'utilise dans mes vidéos n'ont pas de signification concrète, elles me permettent de transmettre les sentiments et les impressions que je ne pourrais pas décrire ni montrer autrement. La vidéo est pour cela un médium idéal "(dixit l'artiste). En tout cas on peut dire que l'image du voyageur est liée à la représentation métaphorique de l'artiste dans "le voyage sans fin, quand nous ne savons pas où nous allons", dans lequel se reflète l’admiration de Yun pour la philosophie de Krishnamurti. La représentation de l'artiste elle-même, apparaissant de façon répétitive dans les installations vidéo, symbolise sa division entre l'Aiyoung Yun qui vit dans le temps réel et l'Aiyoung Yun qui existe dans les rêves, les fantasmes, et les souvenirs. En parlant de cette installation l'artiste se remémore  le renommé Chuan Tzu, quand le philosophe, se réveillant soudainement, se demande s’il est Chan Tzu  qui a dormi et s'est vu dans un rêve en papillon ou un papillon qui rêve de Chuan Tzu. Des objets tangibles comme l'arbre et les fleurs, ramènent l’artiste "sur terre" au monde matériel de la logique et de la conscience. Les bruits naturels de l'eau et du vent symbolisent pour Yun le monde inconscient qu’on pourrait entrevoir en suivant "la voie royale du rêve".

 

Les souvenirs et les rêves sont la matière première de l'artiste. Après avoir grandi à Séoul, Yun habite et travaille à Paris depuis plus de 10 ans, avec le sentiment d’errer dans le no-mans land intellectuel entre l’orient et l’occident. Dans ses installations multimédia enchanteresses , le spectateur a le sentiment d'être un voyageur qui s'est soudainement trouvé dans un énigmatique pays de rêve, où les choses changent d’endroits, où l'âme du jardin cultive l'âme du spectateur (Jardin Secret, 2001), où un enfant marche sans fin dans un paysage noyé de brouillard (Intersection, 2000).

 

Les installations de Yun sont "peuplées de rêves dans lesquels les sensations d’étrangeté et d'ubiquité s’entrecroisent comme dans l'expérience du rêve, et traduisent le monde quotidien par voie subjective". La frontière entre la nature réelle du monde et son caractère trompeur, entre la réalité et le rêve, est matérialisée dans l'espace tridimensionnel d'une salle "obscure", où sculpture et vidéo-performance, objets immobiles et images en mouvement, s’unissent. L'art vidéo est devenu un médium unique pour Yun, permettant d’incarner le moment du temps restitué. L'artiste a commencé à travailler avec la vidéo au milieu des années 1990, faisant du temps l’un des sujets de son travail de création. L'art vidéo est l'un des accomplissements les plus révolutionnaires du 20ème siècle, qui, comme le cinéma, en son temps, a changé le rapport même à la réalité, donnant au spectateur l'occasion de percevoir les oeuvres d'art en “temps réel”.

 

Pour Yun la métaphore du temps est le fleuve, poursuivant son chemin, ou un nuage dérivant dans le ciel, le cycle de la naissance et de la disparition. La vidéo lui a précisément permis d'incarner la dimension multiple du monde, la possibilité d'exister simultanément dans plusieurs espaces parallèles, en particulier dans l'espace du rêve et de l'imagination. La topographie de ses installations multimédia est le Jardin Secret des souvenirs, scrupuleusement reconstruit au moyen de projections vidéo, lasers, images tridimensionnelles, et bruits, où chacun se sent un voyageur errant dans les profondeurs du temps restituées par l'artiste.

 

Olesya Turkina

Conservatrice au Musée National Russe, St Petersbourg