Ceux et celles qu’elle photographie ne posent pas pour elle, ils dansent.
Ces corps en mouvement, ces corps, ces nuques, cette peau, contiennent une émotion, des sensations qu’elle partage avec les danseurs. Parfois elle y assiste, parfois elle les provoque et quand la rencontre fait magie, elle s’y attache et s’en saisit, capturant l'éphémère avec précision.
« L'année dernière, j'ai rencontré à plusieurs reprises les mêmes danseurs. Je n'ai pas parcouru le monde à la recherche de l'inconnu, mais j'ai zoomé et trouvé la beauté dans les petits changements qui peuvent impliquer de grands bouleversements.
Cela se passe à l'intérieur de moi en tant que personne et en tant qu’artiste, et chez les personnes qui m'entourent. Et surtout chez les danseurs avec lesquels je travaille.
Au sujet de ses films, Werner Herzog disait que les rencontres étaient réelles, mais qu’il mettait en scène les gens pour que la réalité paraisse plus réelle.
Avec des danseurs contemporains de Bruxelles, nous avons réfléchi et expérimenté ce que signifiait être ensemble. En éliminant la hiérarchie et les tâches, l'accent est mis sur chaque individu. Qu’est-ce que je désire et comment puis-je le rendre possible dans le cadre du groupe. »
Dans cette série intitulée « Poetry of the gang », elle a cherché à ressentir l’unité d’un groupe, comment l’ensemble fait corps.
« Si vous voulez être porté, il faut parfois porter ».
C’est pendant ces répétitions collectives qu’elle ressent les mouvements qui l’intéressent, autant que ce que leurs pauses peuvent en dire. Ce qu’il y a derrière les petits gestes de chacun, au bout de ces élans en suspens, c’est là que réside le souvenir de ces rencontres, une beauté souvent bouleversante, « une multiplicité subtile des sentiments ».
La beauté qu’elle cherche et retrouve aussi dans l’observation des changements du paysage, de la matière, des tremblements qui ont façonné les roches et surtout dans l’onde des vagues qui agitent la mer.
Ses pièces photographiques uniques ont beaucoup de l’aspect scintillant et évanesçant de cette écume laissée par la mer lorsque les vagues se retirent. L’émotion reste à cet endroit, celui que décrit Alessandro Baricco dans son célèbre roman :
« ... vous voyez, là, l'endroit où l'eau arrive... elle monte le long de la plage puis elle s'arrête... voilà, cet endroit-là, exactement, celui où elle s'arrête... ça ne dure qu'un instant, regardez, voilà, ici par exemple... vous voyez, ça ne dure qu'un instant puis ça disparaît, mais si on pouvait fixer cet instant... l'instant où l'eau s'arrête, à cet endroit-là exactement, cette
courbe... C'est ça que j'étudie.
L'endroit où l'eau s'arrête. (...) il se passe là quelque chose... d'extraordinaire (...)
C'est là que finit la mer ».¹
Ceux et celles qu’elle photographie ne posent pas pour elle, ils dansent.
— Charlotte Boudon
¹ Alessandro BARICCO, Océan mer (Oceano mare), Albin Michel, 1998, 274 p