C’est à explorer son propre chaos intime que nous invite Kenny Dunkan sous la forme d’une mise en abime kaléidoscopique
Les filles du calvaire ont le plaisir d’annoncer la première exposition personnelle de Kenny Dunkan à la galerie. Ancien pensionnaire de la Villa Médicis, Kenny Dunkan envisage Keep Going ! comme un parcours initiatique saturé d’images, de sculptures et de vidéos. Nourri de la culture caribéenne, la mode ou le design, il développe une œuvre performative et hybride qui interroge héritage colonial et identité fragmentée.
Cartographie de l’intime par Simon Njami (écrivain, narrateur, essayiste)
C’est bien d’intimité, malgré un déploiement à l’apparence chaotique, rassemblant des fragments qui constituent autant d’éléments d’un puzzle, très soigneusement mise en scène qu’il s’agit. La théâtralité de l’exposition est là pour surprendre, déstabiliser, désorienter. L’artiste revendique d’ailleurs le chaos et en assume la réalité en citant Édouard Glissant : « Le chaos est beau quand on en conçoit tous les éléments comme également nécessaires. » Mais plutôt que de suivre Glissant dans le développement qu’il fait sur les cultures du monde, je convoquerai plutôt le philosophe Henri Delacroix dans sa définition du langage qu’il décrit comme étant l’ « un des instruments spirituels qui transforment le monde chaotique des sensations en monde des objets et des représentations.»
C’est donc à explorer son propre chaos intime que nous invite Kenny Dunkan sous la forme d’une mise en abime kaléidoscopique. Les photographies comme des papiers peints, des albums, des notes visuelles tapissent le sol et les murs, comme un jeu de piste, comme l’illustration la plus immédiate de sa fragmentation. C’est le chaos du monde des sensations évoqué par Delacroix dont l’artiste a voulu dessiner la cartographie intime, en deux mouvements, comme en musique : la mémoire et l’identité. La mémoire, c’est la Caraïbe dont il est originaire, la Guadeloupe et, par extension, tout le Nouveau Monde. La mémoire ne peut être détachée de l’histoire, notamment celle de la colonisation et de l’esclavage. Une histoire marquée aux fers rouges et qu’il faut réécrire, réinventer, exorciser. Mais il existe également, peut-être plus prégnante et plus organique, la mémoire sensible. Cet ensemble de ruines, pour reprendre l’expression de Toshomé Gabriel, à partir desquelles on rebâtit sans cesse, à la recherche d’un nouveau syncrétisme.