« Depuis quarante ans, – bien avant de devenir photographe -, je vis, à travers mon expérience propre, au Mexique comme ailleurs, dans cette exigence d’un commun possible, au sein de la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté »
La galerie Les filles du calvaire a le plaisir de présenter l’exposition personnelle d’Antoine d’Agata : Codex | Mexico, 1986-2021. Cinq ans après sa dernière exposition Atlas, d’Agata revisite l’ensemble de son travail réalisé au Mexique.
1986 – 2021. Le corpus présenté à la galerie est à l’image des expériences vécues par cet artiste prolifique : violentes et troubles. L’ensemble témoigne d’un parcours, d’allers-retours incessants avec le Mexique, qui ont été pour l’artiste un terrain d’expérimentation absolue, hors limite. Le matériel photographique qui forme cet ensemble provient d’expériences menées sur 35 années. Deux histoires sont ici mêlées, celle du Mexique et celle que l’auteur entretient avec la violence d’une communauté qu’il a vu se désagréger.
« Depuis quarante ans, – bien avant de devenir photographe -, je vis, à travers mon expérience propre, au Mexique comme ailleurs, dans cette exigence d’un commun possible, au sein de la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté », comme la nomme George Bataille, d’une « communauté des amants » au sens large, amoureuse et défoncée, invisible et infiniment fragmentée, de ceux qui n’ont rien que leur corps pour survivre, sentir et exister. »
Le point d’entrée vers cette violence est une drogue : le Crystal Meth, qui n’épargne ni les individus ni les structures sociales. Pour s’incorporer directement cette histoire de la violence, d’Agata absorbe les chimies qui en sont la source. Le processus est à la fois brutal et extra-ordinaire. La réalité dévastée devient alors abominable : le paysage se vide, le tissu humain se délite, la pulsion de mort domine.
Les images des femmes qui scandent l’exposition, sont celles, singulières, qu’il rencontre, dans l’expérience partagée de la violence. L’exposition, prévue pendant Paris Photo, déploie différents langages artistiques : photographies digitales ou argentiques, sérigraphies, gravures, vidéogrammes, images trouvées ; les entrées dans l’œuvre sont multiples : formelles, techniques, politiques ou conceptuelles. Un système de cadres « polyptiques » pouvant parfois contenir jusqu’à des dizaines d’images, dévoile la profusion de l’œuvre d’Antoine d’Agata.
« Aucune tendresse particulière pour la photographie mais le besoin de faire cracher à l’appareil ce qui n’a pas été dit. Ne pas considérer la chose mais l’avaler entière. Cracher le morceau. La matière est là, dans les ornières du réel. Par l’accoutumance tenace à la douleur et à la jouissance, je décortique la mécanique de nos corps devenus pantins, soumis à la peur et au désir. »
L’implication de d’Agata est physique, directe avec le monde et l’expérience de la contrainte du corps que la violence, la drogue ou sa présence auprès de prisonniers lui imposent. Pour témoigner de son histoire et de celle de l’autre, d’Agata conçoit un labyrinthe photographique où il assemble les temporalités et agence les langages. L’œuvre est parfois collaborative : photos volées, sérigraphies et images faites par les prisonniers se superposent aux images originales du photographe. Le répertoire est celui du crime, du sexe, de la drogue, d’espaces abandonnés. Le romantisme noir des origines laisse place, au rythme de la violence exponentielle que vit le Mexique, à une photographie où le réel resurgit, brut. Le contraste entre l’excès des gestes, la saturation visuelle et la rigueur de l’exposition permet d’appréhender la complexité de son propos