L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? (George Perec)
A l’occasion de sa première exposition personnelle à la galerie Les filles du calvaire à Paris, l’artiste néerlandaise Paulien Oltheten nous invite à découvrir les endroits qu’elle explore intensément depuis ces dernières années : de l’Iran à la Russie, en passant par le quartier des Olympiades et celui de la Défense à Paris. Deux ans après son exposition remarquée aux Rencontres d’Arles et saluée par le Jury du Prix Découverte, la galerie a le plaisir de présenter un plus large aspect de son travail.
L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? (George Perec)
Inspirée par Perec, la motivation majeure de Paulien Oltheten est d’interroger l’espace, d’en faire sa lecture à partir de ceux qui le traversent et le vivent. L’espace mental et l’espace physique s’engagent dans une sorte de double jeu intensifiant leur lien. C’est dans la quotidienneté des êtres et des choses qu’Oltheten trouve sa matière, celle-ci devenant une évidence absolue sous son regard patient. Infatigable, elle observe la rue et suit les passants, tissant parfois avec eux des relations véritables bien qu’éphémères. Avec humour et ingéniosité, elle envisage l’improbable des liens entre les personnes, leurs affaires et leur utilisation de l’espace public.
Le sociologue et historien américain Richard Sennett, dont les études sur l’urbanisme ne cessent d’influencer la mise en oeuvre de Paulien Oltheten, part du constat que la configuration de l’espace urbain peut enrichir tout aussi bien que contrarier la vie quotidienne de ses habitants. C’est à partir de cette même appréhension de l’urbain que l’artiste envisage nos routines : « L’esplanade de la défense est massive et n’invite pas à rester en son centre, il faut la traverser, se réfugier sur les côtés. C’est comme une boucle d’actions répétées. Il y a des petites différences, mais la grande mécanique reste la même. » (Paulien Oltheten)
A la galerie, entre installation, performance et projection, Oltheten a choisi de réunir plusieurs pièces, dont celle de « La Défense, le regard qui s’essaye ». Elle y repère le graphisme pensé par les urbanistes, la répétition des gestes de ceux qui l’expérimentent et l’apparition, parfois hors contexte, de certains objets. De ces constatations élémentaires et ordinaires, elle parvient à extraire la singularité du comportement humain et développe une narration aussi inattendue qu’universelle. Elle crée de toute pièce des rencontres entre un livre scientifique, un album de famille et l’attaché case d’un ex maître d’école, le tout en jouant de l’ambiguïté des vérités photographiques et documentaires.
Quant à elle, la vidéo “Non”, a pour point de départ un graffiti trouvé dans le quartier des Olympiades à Paris. L’artiste a capté les réactions des passants face à ce “non” intrusif. De cette déclaration outrancière, elle leur propose de voyager librement entre le social et le politique.
Son film à écran divisé «To those that will, ways are not wanting» présente la persévérance de la déambulation dans deux mondes parallèles. En Iran et en Russie, Oltheten observe et enregistre les personnes manoeuvrant face aux obstacles, elles traversent les rivières transformées en de nouveaux espaces publics : la Volga gelée devient une infrastructure, et le lit d’une rivière asséchée à Ispahan, une zone de transition urbaine paisible.
L’affaire artistique n’est pas uniquement objective et documentaire, il y a chez Oltheten une considération sensible et poétique de la vie quotidienne. L’artiste inventorie les mouvements qu’elle perçoit, les dessine en silhouette et les annote. La singulière chorégraphie des passants s’expose à la galerie dans une série de photographies, tirées et inspirées de ces précieux carnets de notes.
A travers cette exposition, Paulien Oltheten nous fait prendre conscience de nos relations quotidiennes avec le monde matériel, de nos schémas de perception et de nos comportements. Ces séquences entre absurde et nécessité ouvrent un espace de liberté par l’infinie possibilité des histoires qu’elles évoquent, elles stimulent notre imagination pour espérer des suites.