Depuis plus de vingt ans, inlassablement, Thomas Lévy-Lasne pointe les travers de la société dans laquelle nous vivons. Pertinence du contenu avec le contenant, ce n’est pas un hasard si l’artiste enchâsse sa rétrospective dans un double format : l’exposition au Centre d’art Les Églises de Chelles et la publication de sa première monographie de 288 pages aux éditions de l’École des Beaux-Arts de Paris avec un titre commun : La fin du banal.
De 2004 à 2024, Thomas Lévy-Lasne est ainsi passé d’une peinture figurative du quotidien et de l’intime, d’une certaine banalité des invariants humains, à constater que c’est cette banalité même qui s’échappe des mains du peintre avec la dérive climatique. De l’invariabilité de nos certitudes à la fragilité de l’existence, cette rétrospective nous dévoile un monde qui bascule.
Dans son exposition aux Églises, le fil du temps s’étire d’un mur à l’autre, des portraits de proches du début, aux humains face aux écrans, des aquarelles de fête au sexe et à la mort. S’il représente toujours les passions humaines dans un style réaliste reconnaissable, c’est pour mieux se défaire d’une certaine forme de moralité. Les choses sont là comme elles apparaissent, pourrait-on lire en sous-titre.
Avec l’accélération de la dérive climatique, les sujets du peintre se sont également précipités : il passe du « je » au « nous », « nous » espèce en voie d’extinction. Des touristes se prenant en photo à l’entrée du camp
d’Auschwitz-Birkenau aux restes de la ville de Pripiat, autant de lieux symptomatiques du mal, rendus à leur banalité. Le mal est partout, comme dans «Le Bosco» de la Villa Médicis en voie de disparition ou dans ses «biodômes» espaces artificiels reconstituant l’idée de nature.
On sent une grande avidité dans l’exécution, l’artiste dévore le réel pour mieux le rendre et nous interpeller, nous séduire. Poil par poil, brin après brin, Thomas Lévy-Lasne démontre par son traitement réaliste, une attention et un soin du monde dans une injonction contradictoire tragique. Autant de temps consacré à des tableaux, voués à la durée, chargés d’un doute vertigineux dans la possibilité des conditions mêmes de leur permanence.