À Théodore Géricault,
L’oeuvre est placée au centre de la Manufacture Hermès à Louviers, dans son vaste patio d’accueil et de rencontre. Frontale, elle s’inscrit optiquement dans l’orbe de l’un de ses arcs intérieurs, au regard du visiteur qui entre dans le patio.
Sur neuf mètres de long, cette sculpture se positionne à deux mètres cinquante de hauteur du sol. Elle se compose de sept aiguilles de trois mètres de long chacune, en acier inox, épointées de chaque coté.
Quatre aiguilles sont d’un noir profond et homogène. Elles se chevauchent dans l’espace horizontalement et prolongent trois aiguilles polies-miroitantes. L’ensemble est structuré par quatre étrivières de cuir noir accrochées à un double rail de métal noir, placé sur les poutres du plafond. Ces étrivières verticales scandent l’espace général de l’oeuvre et portent l’ensemble de façon aérienne et souple. Cette sculpture dessine des lignes directionnelles aiguës en suspens. Ce projet est conçu en écho et citation du tableau de Théodore Géricault Le derby d’Epsom dont une étude est conservée au Musée des Beaux-Arts de Caen. Cette course dite du « galop volant » se déroule sous un ciel d’orage sombre ou lumineux par endroits. Sa tension électrique donne le tempo de la course et la fixe de façon utopique dans l’espace en une temporalité paradoxale. C’est une traversée du temps sublime où s’associent les énergies animales et humaines en une geste artistique de haut-vol symbolique.
Cette oeuvre tridimensionnelle tend à se lover dans une partie remarquable du projet de l’architecte Lina Ghotmeh. L’arc de cercle - l’arche -, qui ponctue façades et intérieurs au rythme soutenu et répété d’un galop métaphorique juste et constant. Les sept lignes/lances y inscrivent sept grands traits d’union suspendus en un ensemble séquentiel longitudinal dans une référence elliptique à la composition de l’oeuvre de Géricault. Ils tracent in situ une portée unique de lignes tangibles et réfléchissantes. Une poursuite des longues aiguilles nues et denses qui pointent, agencées par l’efficacité précise et fine du travail du cuir. Y voir l’esprit de la matière, l’histoire d’une découverte et d’une transmission; celui d’un passage de relais volant et arrêté. C’est l’interprétation d’une traversée double : celle de l’harmonie d’une architecture et celle de l’histoire manufacturière et de ses lointains acquis. Ces sens sont associés en un questionnement spatial serré et sobre. Celui d’une tension relationnelle. Un suspens sculptural pur et énigmatique face à celui qui le regarde et peut s’interroger.
Emmanuel Saulnier